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Volume Five, December 2004

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LE QUEBEC ET SES LOIS LINGUISTIQUES

1. Introduction
La principale raison motivant les gouvernements québécois à prendre des mesures pour la protection de la langue française au Québec est le constat que la langue française, langue minoritaire en Amérique du Nord et au Canada, est trop fragile pour se développer sans le soutient de l’Etat.
L’élément central de la politique linguistique du Québec est la Charte de la langue française, adoptée en 1977. Cette loi, que complètent ses règlements d’application et la Politique gouvernementale relative à l’emploi et à la qualité de la langue française dans l’Administration fait du français la langue officiel de l’Etat québécois. Elle vise à assurer que le français devienne la langue commune dans divers domaines de la vie publique en faisant en sorte qu’il soit notamment la langue normale et habituelle de l’administration, des communications, des ordres professionnels, du travail, de l’enseignement, du commerce et des affaires au Québec.
Le postulat fondamental qui anime la politique linguistique québécoise est que si le français doit survivre et s’épanouir sur le continent nord-américain cela ne peut se faire qu’en lui donnant le maximum de chance et de protection au Québec, seul territoire où il est la langue de la majorité de la population. Cela à fin qu’il y devienne un instrument de communication publique utile pour tous et qu’il soit ainsi la langue commune servant naturellement de moyen de communication publique entre les Québécois et les Québécoises de toute langue et de toute origine. Il est à rappeler aussi qu’une politique linguistique doit avoir pour but de protéger non seulement les langues minoritaires, mais aussi parfois la langue majoritaire, lorsque celle-ci pour diverses raisons s’avère être vulnérable.
Depuis son adoption la Charte de la langue française a produit des effets bénéfiques. Elle a redonné, particulièrement à Montréal, un visage français dans l’affichage public et la publicité commerciale. Elle a permis aux consommateurs francophones d’obtenir des services dans leur langue. Elle a favorisé l’accroissement de l’usage du français chez les travailleurs et dans la vie des entreprises. Elle a induit la fréquentation de l’école française par les jeunes immigrants et favorisé leur intégration à la communauté francophone. Elle a permis un certain rattrapage dans le statut du français au Québec et assuré une forme de sécurité culturelle aux Québécois et Québécoises francophones.
Pour bien saisir le dessein que poursuit encore la Charte de la langue française il est utile de retracer rapidement le contexte socio-historique qui a présidé à son adoption et de donner quelques informations sur le contexte démographique actuel du Québec. J’exposerai par la suite les principales dispositions de la Charte.

2. Le contexte socio-historique
Sans prétendre de faire ici l’historique complet des événements de la vie des francophones en Amérique, il faut rappeler qu’en 1763 la Nouvelle France devient officiellement une colonie britannique à la suite de la défaite de la France face à l’armée britannique survenue quelques années plus tôt. La Proclamation royale de 1763 est venue alors délimiter le territoire du nouveau gouvernement du Québec et y a introduit le droit privé anglais. Les nouveaux maîtres de la colonie ont cherché alors, malgré beaucoup de résistance, à angliciser la population française. Face à l’opposition de la population francophone, l’Acte de Québec vient rétablir, en 1774, le droit privé français dans la colonie conquise et garantir le libre exercice de la religion catholique.
Dans la première moitié du XX-e siècle, le Québec a pris peu de mesures pour protéger la langue française. Cette attitude de non-intervention, dictée par la philosophie libérale de l’époque, s’explique aussi par le fait que la population francophone du Québec était encore majoritairement rurale et qu’elle était animée davantage par un réflexe de repli et de résistance que par celui d’une prise en main, face aux anglophones qui y contrôlaient l’économie.
Outre ces éléments d’un passé plus lointain, il convient également de rappeler certains événements qui, depuis une trentaine d’années, ont été déterminants du point de vue linguistique dans l’histoire du Québec et qui se sont produits en même temps que se produisait, au début des années soixante, une modernisation du Québec qui a été qualifiée de « révolution tranquille ».
En 1967, la ville de Saint-Léonard, dans la région de Montréal, est devenue le théâtre d’un conflit linguistique qui a, par la suite, marqué à jamais le Québec et sa politique linguistique. Au coeur de ce conflit il y avait le choix massif fait par les allophones d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise au Québec. Du point de vue des francophones cela posait, à plus ou moins long terme, la question de l’avenir du français dans la région de Montréal et plus généralement au Québec.
A cette époque, 90% des écoliers allophones de Saint-Léonard fréquentaient des écoles primaires bilingues ou, dans les faits, l’enseignement se donnait souvent principalement en anglais. A la fin de leurs études primaires 85% de ces enfants se dirigeaient vers les écoles secondaires anglophones. La décision des autorités scolaires de Saint-Léonard de fermer les écoles bilingues et de diriger les enfants allophones en âge d’être scolarisés vers les écoles francophones souleva la colère des parents allophones qui s’y opposèrent farouchement. Pour leur part les francophones, dont le taux de natalité commençait à diminuer, prenaient conscience pour la première fois que si la situation perdurait, c’était, à plus ou moins terme, la survie du français qui en dépendait. Rapidement cette question devint un enjeu politique d’importance qui secoua par la suite toute la société québécoise.
Par ailleurs, en 1968, les travaux de la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme révélaient qu’au Québec, au début des années soixante, parmi les quatorze groupes ethniques identifiés, les francophones venaient en douzième rang pour le revenu moyen des salariés, soit 8% sous la moyenne, tandis que ceux d’origine britannique venaient au premier rang, dépassant la moyenne de 42%.
Afin de chercher à calmer la crise qui se soulevait dans le domaine scolaire, la Loi pour promouvoir la langue française, désignée comme la loi 63, était adoptée en 1989. Il s’agissait de la première loi québécoise d’importance dans le domaine linguistique. Cette loi, dont le titre est un peu trompeur, avait en fait le but de consacrer législativement la liberté de choix qui avait prévalu jusqu’alors dans l’accès à l’enseignement en anglais au Québec. La seule balise que posait cette loi tenait au fait que les parents désirant que leurs enfants fréquente l’école anglaise devaient en faire la demande lors de l’inscription de ceux-ci à l’école. Cette loi souleva rapidement l’ire des parents francophones et des milieux nationalistes au Québec.
En 1972, la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec (appelée la Commission Gendron, du nom de son président) rendait public son rapport. Les travaux de cette commission faisaient notamment ressortir : l’infériorité historique des francophones au Québec sur le plan économique, la façon négative dont l’élite économique anglophone du Québec percevait les revendications francophones touchant l’égalité des chances ; la tendance marquée des immigrants à choisir pour eux-mêmes ou pour leurs enfants, l’anglais comme langue d’usage au Québec et l’obligation imposée aux Québécois francophones de posséder une connaissance plus ou moins poussée de l’anglais pour travailler dans des entreprises industrielles, et ce, que ce soit pour les communications internes ou externes de ces entreprises ou encore pour pouvoir comprendre les instructions ou les directives techniques.

3. Le contexte démographique
Depuis 1951, la fraction représentée par le Québec dans la population canadienne n’a cessé de diminuer, passant de 28,95% en 1951 à 22,2% de la population du Canada en 1998. De même, depuis 1951, le nombre de francophones (langue maternelle) au seine de la population canadienne a diminué de façon constante, si bien que les francophones, qui représentaient 29% de la population canadienne en 1951, ne comptait plus, suivant le recensement de 2001, que pour 22,9% de la population du Canada.
Cette baisse ininterrompue est attribuable à divers facteurs dont le nombre important d’immigrants de langue maternelle autre que le français au Canada ainsi que la baisse de fécondité au sein de la population francophone depuis le milieu des années soixante.
La proportion des personnes parlant français à la maison au Canada a également diminué, passant de 25,7% en 1971 à 22% en 2001, suivant les données du dernier recensement. De plus, de 1996 à 2001, la proportion des francophones qui ont utilisé le plus souvent une autre langue que le français à la maison, d’ordinaire l’anglais, s’est accrue dans chaque province et territoire, à l’exception des Territoires du Nord-Ouest. D’ailleurs la force d’attraction de l’anglais au Canada fait en sorte que dans toutes les provinces et ce, même au Québec, la proportion de la population parlant le plus souvent l’anglais à la maison est toujours sensiblement plus élevé que celle dont la langue maternelle est l’anglais.
Sans le Québec, les francophones, qui représentaient 6,6% de la population canadienne en 1961, ne représentent plus, en 2001, que 4,4% de la population canadienne, soit environ 980 270 personnes.
En 2001, 85,5% des francophones (langue maternelle) du Canada, vivaient au Québec. Ils représentaient 81,4% de la population du Québec comparativement à 81,5% en 1996, soit environ 5 541 430 personnes. Pour leur part, les allophones formaient 10,3% de la population québécoise, soit environ 732 160 personnes. Ils surpassent maintenant le nombre d’anglophones, qui comptent pour 8,3% de la population québécoise, soit environ 591 365 personnes.
La décroissance de la population du Québec et celle de la population francophone apparaissent comme des phénomènes inéluctables. Dans une étude portant sur le recensement de 1996, des chercheurs de Statistique Canada écrivaient : « Il est difficile d’imaginer un scénario raisonnable qui pourrait renverser la tendance à la baisse du poids des francophones dans l’ensemble du pays. » [Marmen, Corbeil, 1999, p. 87] A la lumière des données du recensement de 2001, ce constat se confirme et on comprendra que la Charte de la langue française garde toute sa pertinence.

4. La Charte de la langue française
4.1. La langue du commerce et des affaires
Souvent, et ce particulièrement à Montréal au début des années 60, les francophones avaient, dans les boutiques, les magasins, les restaurants, les hôtels et les transports publiques, de la difficulté à se faire servir en français ou encore à obtenir des produits accompagnés de modes d’emploi ou d’information en français. C’est donc en réponse à cette légitime revendication et dans le but de protéger les consommateurs et de bien marquer le visage français du Québec, que la Charte énonce diverses exigences linguistiques relativement à la langue du commerce et des affaires. Cela est d’autant plus important que les activités de consommation atteignent quotidiennement chaque personne et en viennent ainsi presque imperceptiblement à conditionner le vocabulaire de chacun.
La Charte de la langue française prévoit l’utilisation du français dans les inscriptions sur un produit, son contenant ou son emballage et sur les documents ou objets qui l’accompagnent. Toutefois, une autre langue que le français peut également être utilisée pourvu que le texte français occupe une place équivalente.
Il existe différentes exceptions prévues par voie réglementaire, qui permettent notamment que des inscriptions sur des produits culturels ou éducatifs soient rédigés uniquement dans une autre langue que le français.
Les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux ou les publications de même nature doivent aussi être rédigés en français. On peut toujours utiliser une autre langue avec le français pourvu que celui-ci figure de façon au moins aussi évidente que toute autre langue.
La Charte de la langue française exige aussi que les contrats d’adhésion ou les contrats comportant des clauses types imprimées soient rédigés en français, à moins que les parties ne conviennent expressément de les rédiger dans une autre langue. Les formulaires de demande d’emploi, les bons de commande, les factures et les reçus ainsi que les quittances doivent être rédigés en français. Il importe de souligner que, tant pour les contrats que pour les formulaires, l’emploi d’une autre langue en plus du français n’est pas interdite pourvu que le français figure de façon au moins aussi évidente.
En 1997, une disposition spécifique a été ajoutée afin de couvrir les logiciels et les ludiciels. Ainsi, tout logiciel, tout ludiciel ou tout système d’exploitation informatique, qu’il soit installé ou non sur ordinateur, doit être disponible en français à moins qu’il n’en existe aucune version.

4.2. L’affichage public et la publicité commerciale
En 1988, la Cour suprême de Canada a déclaré que les dispositions de la Charte prévoyant l’unilinguisme français dans l’affichage public et la publicité commerciale étaient contraires à la liberté d’expression et au droit à l’égalité, et que la règle d’exclusivité d’emploi de la langue française que posaient ces dispositions n’étaient pas justifiés dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Tout en prenant cette position, la Cour suprême a pourtant reconnu la vulnérabilité de la langue française au Québec et a déclaré que la menace qui pesait sur la langue française pouvait être imputée à la baisse du taux de natalité chez les francophones au Québec, au taux supérieur d’assimilation des immigrants au Québec par la communauté anglophone ainsi qu’au fait que l’anglais a toujours dominé aux plus échelons du secteur économique.
Un tel constat n’a cependant pas empêché la Cour suprême de juger que l’usage exclusif du français dans l’affichage public et la publicité commerciale n’était pas nécessaire pour assurer le « visage français du Québec ». La Cour suprême a plutôt indiqué que la « nette prédominance du français » était la méthode qui, selon elle, permettait au législateur québécois d’atteindre son objectif tout en se conformant aux exigences des chartes canadiennes et québécoises des droits et libertés.

4.3. La langue de la législation et de la justice
Les règles initiales de la Charte de la langue française visant à faire du français la véritable langue de la législation et de la justice au Québec et donnant au seul texte français valeur officielle furent rapidement contestées devant les tribunaux et, moins de deux ans après leur adoption, elles furent déclarées inopérantes par la Cour suprême du Canada. Ayant à interpréter l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit que les lois du Québec doivent être publiées en anglais et en français, la Cour suprême a conclu que cette disposition exigeait qu’un statut officiel soit reconnu aux deux versions des lois et que l’obligation du bilinguisme qui en découlait visait toutes les étapes du processus législatif (présentation, adoption, sanction et publication).
Cette obligation de bilinguisme couvre non seulement les actes réglementaires eux-mêmes, mais également certains actes (notamment des décrets) possédant des caractères similaires. De plus, certains actes, même s’ils ne sont pas à proprement parler de nature législative, pourront quand même être soumis à l’obligation de bilinguisme lorsqu’ils s’inscrivent dans une série d’actes dont l’effet est de nature législative.
Il est à noter toutefois que toute personne accusée dans le cadre d’un procès criminel a le droit d’opter pour un procès en français ou en anglais selon la langue qu’elle estime être la sienne et que les tribunaux saisis d’affaires criminelles sont tenus d’être institutionnellement bilingues. Il faut notamment que le juge, le jury et le poursuivant soient en mesure de parler soit le français, soit l’anglais, suivant la langue choisie par l’accusé, et des considérations financières ou administratives ne peuvent être invoquées pour s’opposer à l’exercice de ce droit.
Cette mesure législative (désignée comme la Loi 178) se voulait, de l’aveu même du premier ministre d’alors, M. Robert Bourassa, un compromis « équilibré » entre le bilinguisme total et l’unilinguisme dans l’affichage. Pour ce faire, elle établissait donc la règle de l’unilinguisme français dans l’affichage public et la publicité commerciale faits à l’extérieur ou destinés au public qui s’y trouve, tandis qu’à l’intérieur d’un établissement l’affichage public et la publicité commerciale pouvaient être faits à la fois en français et dans une autre langue, pourvu qu’ils soient destinés uniquement au public qui s’y trouve et que le français y figure de façon nettement prédominante.
Cette forme de bilinguisme paritaire sans prédominance du français est permise dans l’affichage du mode d’utilisation d’un appareil installé en permanence dans un lieu public, dans l’affichage public relatif à la santé ou la sécurité publique, dans celui d’un musée, d’un jardin botanique ou zoologique, ainsi que dans l’affichage public ou la publicité commerciale se rapportant à un événement destiné à un public international ou dont les participants viennent en majorité de l’extérieur du Québec.
Enfin, la Charte de la langue française prévoit qu’au Québec le nom d’une entreprise doit être en langue française. De plus, un nom en langue française est nécessaire à l’obtention de la personnalité juridique. En règle générale, le nom d’une entreprise peut être assorti d’une version dans une autre langue que le français, pourvu que, dans son utilisation, le nom de langue française figure de façon au moins aussi évidente. Des règles plus spécifiques régissent toutefois l’utilisation du nom d’une entreprise dans l’affichage public et la publicité commerciale et prévoient, sous réserve de diverses exceptions, la nette prédominance du français.

5. En guise de conclusion…
En quelque vingt-cinq ans la Charte de la langue française, ainsi que toutes les lois connexes qui en appuient les buts, est devenue une loi nécessaire et utile, source de paix sociale. Elle s’est acquis la valeur d’un symbole, qui affirme le statut nouveau de la langue et de la culture françaises au Québec et leur pérennité au Canada comme en Amérique du Nord.


BIBLIOGRAPHIE

ALLAIRE, Louise M. et LACHAPPELLE, Réjean, 1990, Profil démolinguistique des communautés minoritaires de langue officielle. Profil démolinguistique Québec, Ottawa, Secrétariat d’Etat du Canada.
CANADA (GOUVERNEMENT), COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES, Rapport annuel 2002.
CHEVRIER, Marc, 1997, « Des lois et des langues au Québec. Principes et moyens de la politique linguistique québécoise, » in Espoir, Revue de la Fondation et de l’Institut Charles de Gaulle, Paris.
MARMEN, L., CORBEIL, J.-P., 1999, Les langues aux Canada, recensement de 1996, Patrimoine Canada et Statistique Canada.
Annuaire du Canada 2003, Statistique Canada.




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